Innovation & Santé

Développement, brevets et marques

22.03.19
PROPRIÉTÉ - Le brevet et la marque sont deux titres de propriété intellectuelle d’une importance majeure pour les entreprises du médicament, mais le parcours pour les obtenir est semé d’embûches. Au menu : réglementation très stricte, enjeux financiers colossaux et concurrence.

Brevet

Dans le secteur du médicament, la propriété intellectuelle est un des éléments fondamentaux du développement de l’innovation. Parce que les entreprises de recherche investissent dans de longs et coûteux programmes scientifiques, elles doivent pouvoir compter sur la protection que leur confèrent ces droits.

En effet, les coûts liés au développement de nouveaux médicaments sont de plus en plus importants (près de 1 milliard d’ €). Le souci de compenser les délais de mise sur le marché des produits pharmaceutiques, inhérents aux études pré-cliniques et cliniques, et devant notamment constituer le dossier de demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM), auprès des autorités de santé justifient donc une protection forte de l’innovation.

Deux catégories de titres de propriété intellectuelle sont d’importance majeure pour les entreprises du médicament : le brevet et la marque.

BREVET DE MEDICAMENT


1. Qu’est-ce qu’un brevet ?

Le brevet confère à son titulaire une exclusivité commerciale temporaire en contrepartie de la publication de l’innovation. Le brevet peut être obtenu pour tout type d’invention. Mais l’innovation ne sera effectivement brevetée que si elle est véritablement nouvelle, si elle implique une activité inventive et si elle est susceptible d’application industrielle. Ces critères sont importants, car ils limitent le dépôt de brevet : il est impossible de « breveter » une théorie, une approche scientifique globale, une simple découverte…
Le brevet est publié : cette obligation est capitale. Le brevet rend publique une innovation dont les données pourraient rester confidentielles et secrètes. Breveter une innovation c’est donc porter à la connaissance de tous, les informations décrivant une nouveauté.

Attention ! Le brevet ne doit pas être confondu avec la « protection des données ». Il s’agit d’une protection spécifique attachée au dossier qui est déposé auprès de l’autorité de santé pour l’obtention d’une AMM. L’objectif n’est pas ici de récompenser une création intellectuelle (toutes les informations du dossier ne sont pas nécessairement brevetées)  mais de préserver des renseignements qui ont occasionné des frais de recherche très importants, notamment pour une nouvelle indication thérapeutique. Cette protection permet d’inciter les entreprises à investir dans la recherche et à développer des  indications innovantes qui ne sont pas brevetables en elles-mêmes mais qui apportent un progrès thérapeutique.


2. Quelle est l’origine des brevets ?

L’idée de réserver une exclusivité commerciale à une invention pendant une durée donnée, et donc de la protéger en contrepartie de sa divulgation, est née au milieu du XIXème siècle, en pleine révolution industrielle. Ces premières lois, qui datent de 1844, ne prévoyaient pas la protection du produit pharmaceutique car on était encore loin du développement industriel des produits de santé.
Après avoir connu une forme spécifique de protection juridique en 1960, les inventions portant sur les médicaments entrent en 1968 dans le régime « général » des brevets avec les exigences que cela comporte, dont celle de publication.


3. Quelle est la durée d’un brevet ?

Le brevet a une durée limitée à 20 ans à compter du jour de dépôt de la demande.
Dans la plupart des secteurs industriels, l’invention brevetée sera disponible sur le marché deux ou trois ans après le dépôt de brevet, parfois moins. Le détenteur du brevet dispose donc de 17 ou 18 ans d’exclusivité commerciale.

La règle est la même pour le médicament. Cependant, une nouvelle molécule, dont le brevet vient d’être déposé, fera encore l’objet de recherches, de mises au point et d’essais pendant une dizaine d’années avant que les autorités sanitaires n’autorisent sa mise à disposition pour les malades. Le médicament ne serait donc en réalité protégé par le brevet qu’une dizaine d’années. Afin de compenser la durée exceptionnellement longue de sa recherche, le médicament bénéficie d’un « certificat complémentaire de protection » (CCP) qui prolonge la durée du brevet, au maximum pour 5 ans complémentaires (prolongeables de six mois supplémentaires pour les médicaments développés pour un usage pédiatrique).

En pratique, le médicament est en moyenne protégé commercialement pendant 15 ans (durée de validité du brevet au moment de la mise sur le marché prolongée du CCP), ce qui reste inférieur à la protection de 20 ans prévue théoriquement par le brevet. Lorsque les droits de propriété intellectuelle ont expiré, on dit que l’invention « tombe dans le domaine public ». Dans ce cas, le médicament original peut être légalement copié, on parle alors de médicaments génériques.


4. Le système des brevets freine-t-il l’innovation ?

Non, au contraire, le brevet encourage la recherche car il permet au chercheur de valoriser les résultats de sa recherche dans un cadre reconnu. Il permet d’inciter les entreprises à investir sur des programmes de recherche très onéreux et au long cours pour la mise au point de médicaments nouveaux.

La nécessité d’inciter au développement des médicaments pédiatriques illustre bien le rôle essentiel du brevet. Sans une réglementation incluant des incitations (comme une extension du certificat complémentaire de protection de six mois, permettant de contrebalancer le coût des études supplémentaires demandées chez l’enfant pour mettre au point des formes et dosages pédiatriques) et les obligations qui restent à la charge des industriels, aucun développement de molécules pédiatriques ne sera réalisé.

Le brevet est donc un encouragement et non un frein. Dans l’histoire industrielle, beaucoup de succès sont liés à des innovations brevetées. Aujourd’hui encore, de nombreux directeurs de R&D considèrent que 60% des innovations de leur secteur d’activité n’aurait pas vu le jour sans la possibilité de les breveter. Le brevet est d’ailleurs un indicateur de la performance d’un pays ou d’une industrie en matière d’innovation.

De plus, le brevet étant obligatoirement publié, l’innovation est mise à disposition de la communauté scientifique. Les recherches qui s’appuient sur cette information et ce savoir pour approfondir l’exploration d’une technologie ou pour développer des technologies concurrentes sont parfaitement possibles. Le brevet couvre l’exploitation commerciale de l’innovation, pas son utilisation à des fins de recherche ou d’expérimentation.

Dans le domaine thérapeutique, nombre de chercheurs en médecine ou d’entreprises du médicament intègre à leurs travaux des éléments publiés à l’occasion de dépôt de brevet. Ne serait-ce que pour partir défricher d’autres pistes. Cela évite de réinventer la roue, et permet des gains de temps et d’efficacité.


5. Les droits que confère un brevet peuvent-ils être limités ou bloqués en cas d’urgence sanitaire, pour favoriser l’accès aux médicaments des pays en développement ?

Il est tout à fait possible et légal, pour un pays en situation d’urgence sanitaire de délivrer une licence obligatoire pour un médicament sous brevet.

Les mécanismes ont été prévus dès 1994 par l’accord international sur les ADPIC (Aspects des Droits de la Propriété Intellectuelle touchant au commerce) qui précise l'étendue et les conditions d'application des droits liés aux brevets, mais prévoit également diverses dérogations à l'application de ces droits. Il permet notamment aux pays justifiant d’une urgence sanitaire de fabriquer sur leur territoire, sous « licence obligatoire » des médicaments sous brevet, sans l’autorisation du titulaire de ce brevet. L’accord signé le 30 août 2003  a apporté une réponse complémentaire aux pays faisant face à une urgence sanitaire, mais sans capacité de production locale. Ils peuvent désormais faire appel à des pays tiers pour fabriquer les produits dont ils ont besoin sous licence obligatoire. Ils disposent ainsi d’un nouveau circuit d’approvisionnement légal.


6. Y a-t-il un lien entre le prix des médicaments et le système des brevets ?

Le prix d’un médicament n’est pas lié au brevet, il est lié à l’investissement  nécessaire à sa recherche et à son développement, et au processus de fabrication qui est parfois complexe à mettre en œuvre (notamment pour les médicaments de biotechnologies). De 10 000 molécules identifiées, à 10 qui feront l’objet d’un dépôt de brevet, et une qui parviendra à passer toutes les étapes de tests et d’essais cliniques, le chemin de l’innovation au malade est long (12 ans en moyenne), complexe et onéreux. La recherche nécessite des efforts renouvelés d’investissement à moyen et long terme. La mise au point d’une nouvelle molécule représente un investissement de près de 1 milliard d’euros.

L’industrie du médicament est le secteur économique qui consacre, sur ses fonds propres, le budget le plus important à la recherche et au développement, devant l’aéronautique, le spatial ou l’automobile. 99% de l’investissement consacré en France à la recherche sur le médicament est financé par les entreprises privées. Le prix des médicaments est le reflet des coûts de la recherche conduite par les entreprises.

Les médicaments génériques sont moins chers que les médicaments d’origine pour la même raison : les entreprises reproduisent une molécule sans avoir à supporter tous les frais liés à la recherche, elles n’ont donc pas besoin de la financer et peuvent pratiquer des prix inférieurs.

Textes de référence pour les brevets

  • Convention de l'Union de Paris (1883)
  • Traité de coopération en matière de brevets (1970)
  • Convention de Munich et brevet européen (1973)
  • Règlement communautaire relatif au certificat complémentaire de protection (1992)
  • Accord sur les Aspects de droit de propriété intellectuelle qui touchent au commerce - ADPIC (1994)
  • Directive communautaire sur la protection des inventions biotechnologiques (1998)
  • Règlement communautaire relatif aux médicaments à usage pédiatrique (2006)
  • Accord de Londres (1er février 2008)

MARQUE DE MEDICAMENT


1. Qu’est-ce qu’une marque pharmaceutique ?

La marque est définie par le code de la propriété intellectuelle comme un « signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale ». L’article L. 711-1 alinéa 2 du code donne une liste non limitative de signes qui, étant propres à distinguer les produits ou service d’une entreprise de ceux d’un concurrent, peuvent être déposés comme marque.

Dans le domaine pharmaceutique, le nom du médicament est traditionnellement considéré par le patient comme une garantie d'origine et de qualité du produit qui en est revêtu par rapport aux produits de la concurrence.

Alors que la protection par le brevet est limitée dans le temps, la protection par la marque peut être renouvelée. L'entreprise innovante a donc tout intérêt à capitaliser sur tout ce qui résulte de ses efforts de recherche, de développement et de commercialisation, c’est-à-dire sur tout ce qu’elle a acquis grâce à la marque du médicament.


2. Qui contrôle le choix de la marque pharmaceutique ?

A la différence d’autres secteurs, la marque pharmaceutique fait l’objet d’un double examen :

  • un examen suivant une procédure administrative auprès d’un Office de propriété intellectuelle. En France, il s’agit de l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI). Le dépôt de la marque est aussi possible au niveau communautaire auprès de l’Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) ou encore au niveau international via l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Le rôle de l’Office est de vérifier la disponibilité du nom par rapport aux antériorités.
  • un examen d’ordre réglementaire par l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des Produits de Santé (ANSM). Ici le rôle de l’Agence est de veiller à la sécurité des consommateurs, en s’assurant que les marques de médicament ne prêtent pas à confusion entre elles et n’engendrent pas d’erreurs qui pourraient entraîner un risque de santé publique. Afin de prévenir les risques potentiels liés aux choix du nom des médicaments, l'ANSM a élaboré des "Recommandations à l'usage des demandeurs et titulaires d'autorisations de mise sur le marché et d'enregistrements relatives aux noms des médicaments" publiées le 22 février 2018. 


3. Un même médicament peut-il avoir plusieurs marques ?

Lorsque l’entreprise choisit de passer par la procédure centralisée pour la mise sur le marché de son médicament (procédure qui lui permet de commercialiser son produit dans les 25 Etats membres de l’Union européenne en obtenant une seule AMM via l’Agence européenne du médicament), il doit normalement n’être prévu qu’un seul nom de marque pour chaque AMM octroyée. On parle de la « marque unique ». Une dérogation est toutefois prévue par la réglementation communautaire « dans des cas exceptionnels relatifs à l’application du droit des marques ».

En dehors de la procédure centralisée, l’exigence de la marque unique n’est pas requise. Un même médicament peut donc avoir un nom différent d’un Etat à un autre. En effet, il peut être difficile, pour des raisons notamment d’encombrement de registres des marques, ou de consonance linguistique, de trouver une dénomination unique dans les 25 Etats de l’Union Européenne.


4. Qu’est-ce qu’une DCI ?

La dénomination commune internationale (DCI) permet d’identifier la substance active dans les médicaments. Il s’agit donc d’un nom scientifique qui permet de désigner une molécule. La liste des DCI est établie par l’Organisation Mondiale de la Santé et permet à l’ensemble de la communauté scientifique d’utiliser le même langage. Les DCI ne doivent pas prêter à confusion avec d’autres noms.

Depuis le 1er janvier 2015, tous les médicaments doivent être prescrits en DCI, c'est-à-dire en désignant le nom de la substance active qu'ils contiennent.
 

5. Qu’est ce que le droit de substitution ?

Le droit de substitution permet au pharmacien (lorsqu’un médicament générique est disponible) de substituer ce générique au produit princeps qui est prescrit par le praticien, à condition toutefois que celui-ci ne s’y soit pas opposé en portant sur l’ordonnance la mention « non substituable ».

Ce droit constitue une dérogation au principe général prévu par le code de la propriété intellectuelle qui interdit toute suppression ou toute modification d’une marque régulièrement apposée, ou délivrance d’un produit marqué en lieu et place d’un autre produit.

En pratique, cela revient à autoriser le pharmacien à choisir la marque du produit. Il est donc dans ce cas très important de veiller à ce que le patient soit bien informé, notamment pour éviter tout risque de confusion possible avec d’autres produits à la suite d’un changement de conditionnement ou de couleur.

Par ailleurs, le patient a toujours le droit de s’opposer à la substitution du médicament prescrit par son médecin sans aucune sanction possible à son encontre.

Textes de référence pour les marques

  • Directive communautaire d’harmonisation sur le droit des marques (1988)
  • Règlement sur la marque communautaire (1994)
  • Nouveau règlement sur la marque de l'UE (2015)
  • Directive rapprochant les législations des Etats Membres sur les marques (2015)

Textes de référence pour la propriété intellectuelle en général

  • Convention de l'Union de Paris (1883)
  • Arrangement de Madrid (1891)
  • Protocole de Madrid (1989)

 

Bibliographie

  • Les brevets d’invention. Généralités. Fasc. 36-01. Editions Litec. collection Droit pharmaceutique. 2005
  • Droit des brevets d’invention. Lamy droit de la santé. Editions Lamy. p. 456
  • Les marques. Généralités. Fasc. 38. Editions Litec. collection Droit pharmaceutique. 2005
  • Droit à la santé et droits de propriété intellectuelle : l’accès aux médicaments dans les pays en développement. Cécile Le Gal. Revue de droit social et sanitaire. N° 3- mai-juin 2005 – p. 456
  • La brevetabilité des gènes, le droit communautaire et la Constitution. Jean-Eric Schoettl. Les Petites Affiches. 17 août 2004. n° 164. p. 11
  • Libre circulation des médicaments et droits de propriété intellectuelle dans l’environnement communautaire et internationale. Fasc. 87. Editions Litec, collection Droit pharmaceutique. 2005