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SantExpo 2024 : « Recherche clinique : comment remettre la France aux avant-postes du progrès médical ? »

22.05.24
La recherche clinique est la première porte d’accès à l’innovation pour les patients. Elle est ainsi un des axes privilégiés du plan Innovation santé 2030 avec une ambition affichée de taille : faire de la France le pays leader européen. Retrouvez l'interview du Pr Jean-Yves Blay, oncologue, directeur du centre Léon-Bérard et président d’Unicancer, sur le Village des entreprises du médicament au salon SantExpo, par Ariane Galaup-Paci, directrice Recherche clinique du Leem.

La recherche clinique est la première porte d’accès à l’innovation pour les patients. Elle est ainsi un des axes privilégiés du plan Innovation santé 2030 avec une ambition affichée de taille : faire de la France le pays leader européen. Pour y parvenir, deux objectifs principaux : démarrer un essai clinique en 120 jours et doubler le nombre d’essais sur le territoire. Actuellement, nous sommes le 3e pays européen et il y a encore du travail. Mais nous pouvons nous appuyer sur l’oncologie où nous sommes à la deuxième place.

 

recherche clinique



Comment expliquez-vous cette force de la France en matière de recherche clinique en oncologie ?

Traditionnellement, l’oncologie a toujours été un atout en France. Plusieurs raisons expliquent cela. D’abord, l’identification, très en amont, d’acteurs en oncologie avant même que la discipline soit reconnue au niveau ordinal. Cela nous permet de disposer d’un réseau fort d’experts reconnus au niveau international. Par ailleurs, la France a une importante et historique culture de transfert entre les centres de recherche clinique et les hôpitaux.

Enfin, nous avons des plans Cancer et un Institut national du cancer (Inca) qui nous a considérablement aider à structurer la discipline. C’est un atout indiscutable pour notre positionnement sur la scène internationale.

Nous avons donc des atouts importants : un réseau reconnu, une taille critique suffisante sur tout le territoire et une dynamique politique. Pourtant, après avoir longtemps été premiers à l’échelle européenne, nous sommes désormais à la deuxième place dans les essais cliniques en oncologie. Face à la compétition internationale croissante, quels « signaux d’alerte » identifiez-vous ?

Un constat : nous étions premiers lorsque nous étions les plus rapides à démarrer les essais cliniques. Nous avons ralenti et décroché, alors que les autres pays ont accéléré et continuent de le faire. A ce rythme, la Belgique et les Pays-Bas vont nous dépasser. Dans un objectif de régulation, nous avons cumulé les goulots d’étranglements. Certes, les autorités travaillent avec nous mais nous ne sommes pas assez réactifs. Les Espagnols, qui rencontrent également ces obstacles, les traitent mieux que nous.

Deuxième point, la disqualification des experts est d’une radicalité inédite en France. Les personnes qui ont travaillé sur des essais avec les laboratoires ne peuvent pas participer aux évaluations des médicaments. Je donne régulièrement mon avis dans les maladies rares aux Pays-Bas, en Italie, en Belgique… alors que ce n’est arrivé qu’une seule fois en France. Or l’évaluation ne peut pas être déconnectée de la recherche clinique, il s’agit d’un continuum. Si un inhibiteur sur un oncogène de première génération autorisé par l’EMA n’est pas remboursé dans un pays (faute d’une évaluation suffisamment favorable), les industriels ne viendront dans ce pays pour mettre en place les essais sur la deuxième génération.

Enfin, les changements de réglementation européenne – qui seront probablement une bonne chose –  nous pénalisent face à une compétition américaine et asiatique.

 

Du côté des industriels, il existe réellement des stratégies d’évitement de la région européenne pour les essais cliniques. C’est le début d’un cercle vicieux face à l’accueil de l’innovation. Afin d’envoyer des signaux positifs en terme d’attractivité, quelles seraient les actions très concrètes à mettre en place dès 2024 ?

L’enjeu de la rapidité de mise en place des essais cliniques est fondamental car la compétition se joue dans le temps. Passer de 160 jours à 120 nous repositionnerait vis-à-vis d’autres pays.

Un autre levier est le développement des essais décentralisés. Les difficultés de recrutement des patients sont observées dans plus de 80 % des essais entraînant des retards ou des arrêts des développements cliniques. Avec la décentralisation, l’essai clinique est dirigé vers le patient et son domicile plutôt que vers l’hôpital, ce qui permet de simplifier le parcours et ainsi favoriser la participation.

Dans le 100 mètres que nous faisons, nous avons les Usain Bolt, il faudrait juste leur enlever les bottes de plomb. Ce sont des choses réellement faisables en mettant autour de la table les différentes parties prenantes et en réfléchissant collectivement sur les façons d’accélérer, de fluidifier et de faciliter notre capacité à recruter. D’ailleurs, Unicancer et le Leem mettent en place un partenariat sur l’initiation de parcours accélérés « démarrage en 120 jours » pour les essais cliniques innovants. Tout est une question de volonté.

 

>> Le Leem a identifié des actions très pratiques à mettre en place, consultables dans l’enquête 2023 sur l’attractivité de la recherche clinique