Actualités
 - 

Frédéric Collet : « Non, Mr Hollande, une levée des brevets ne permettrait pas de produire plus de vaccins »

04.10.21
Le Leem répond à une tribune publiée par Le Monde le 1er octobre 2021, dans laquelle l’ancien Président de la République exhorte l’Allemagne – et l’Europe – à soutenir une levée temporaire des brevets. Attribuant les inégalités d’accès à la vaccination à une supposée pression des laboratoires pharmaceutiques.

Existe-t-il des usines de vaccins non utilisées ? Evidemment pas. Toutes les capacités de production qui ont la compétence en biotechnologie sont mobilisées pour mettre leur expertise à disposition. Les chiffres sont vertigineux et prouvent, s’il en est besoin, les efforts réalisés. Avant la crise sanitaire, 4 milliards de doses par an étaient produites dans le monde, tous vaccins confondus. Entre janvier et août 2021, en huit mois, plus de 6 milliards de doses de vaccins contre le Covid-19 ont été produits. C’est énorme. Et ça continue ! Les fabricants du monde entier produisent maintenant 1,5 milliard de doses par mois. 12 milliards auront été produits d’ici fin 2021 et, s’il n’y a pas de goulets d’étranglement majeurs, 24 milliards d’ici juin 2022, ce qui dépassera probablement la demande mondiale. Ainsi, il est erroné de penser que les capacités mondiales de production seraient insuffisantes et qu’une levée des brevets provoquerait, par miracle, la création immédiate d’une multitude de sites qualifiés et opérationnels.

Les entreprises du médicament ont déjà conclu plus de 300 partenariats de fabrication dans le monde et elles continuent à en mettre en place dès que cela est possible. Pour assurer la qualité des vaccins produits, une expertise spécifique, une formation, des équipements de pointe et une accréditation du site sont indispensables. Et les exigences sont encore plus drastiques pour une nouvelle technologie comme l’ARN messager. C’est cet engagement sur la qualité qui est le garant de la confiance des citoyens envers les vaccins contre le Covid-19. Le contenu d’un brevet ne suffirait pas à les reproduire, il s’agit vraiment d’un transfert de savoir-faire industriel, qui est beaucoup plus long et compliqué à mettre en place.

La propriété intellectuelle est un catalyseur de progrès, elle incite à la recherche, aux partenariats et à l’innovation. « Cette prouesse est la victoire de brillants scientifiques et d’année d’investissements publics dans la recherche », écrit François Hollande. Pas question, bien sûr, de dénigrer le rôle des acteurs publics. Mais pas non plus celui des acteurs privés, s’il vous plaît. Faut-il là encore rappeler les chiffres ? BioNTech a été créée en 2008 avec 180 M$ d’investissements privés, puis s’est associée à Pfizer en 2018 et a levé 1,3 Md$ de capitaux privés pour aboutir au vaccin qu’on connait. Moderna a été créée en 2010 avec 40 M$ provenant d’investisseurs privés, puis a réalisé de nombreux partenariats avec des laboratoires privés et levé 1,4 Md$ en bourse entre 2015 et 2018. Durant cette même période, Moderna n’a bénéficié que de deux financements publics de 24,5 M$ de la DARPA et du BARDA.

Durant des années, ces deux entreprises ont pris d’énormes risques sans réaliser de bénéfices (en 2007, la société qui a précédé BioNTech a failli fermer), notamment parce qu’elles avaient l’assurance que leurs futures découvertes seraient « protégées » quelques temps par la propriété intellectuelle. Supprimer les brevets remet en cause cette protection et découragerait les nombreux candidats vaccins encore en cours de développement.

Aujourd’hui, il n’y a pas de situation de monopole avec les vaccins anti-Covid et toutes les capacités de production sont mobilisées dans le monde entier. Il n’y a pas non plus d’obstacle économique car les laboratoires pharmaceutiques ont mis en place des prix différenciés afin de proposer des conditions d’accès adaptées à chaque pays. Cette question de levée des brevets reflète un débat uniquement idéologique. Pour être efficace et résoudre les questions d’inégalités à la vaccination qui sont réelles, mieux vaut activer les bons leviers : mettre fin aux barrières commerciales à l’exportation de matières premières, intensifier le partage de doses avec une politique ambitieuse de dons de la part des pays riches. Et bien sûr, parce qu’il ne suffit pas de fournir un vaccin, soutenir les campagnes de vaccination dans les pays les plus défavorisés.

Frédéric Collet, Président du Leem