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Santé mentale : « Il faut sortir de cette situation qui condamne des millions de nos concitoyens à subir leur maladie »

25.11.22
La santé mentale reste « le parent pauvre de notre système de santé », déplore, dans une tribune au « Monde », un collectif de spécialistes de l’innovation dans ce domaine. Ils invitent les acteurs privés et publics à se mobiliser comme cela avait été le cas pour le plan Cancer en 2003.

 

La santé mentale est l’enjeu du XXIe siècle. Et pourtant, les maladies qui en relèvent restent cachées et stigmatisées. Déjà première cause mondiale de handicap depuis 2020, ces troubles – en particulier anxiodépressifs et cognitifs – ont fortement augmenté avec la crise liée à la pandémie de Covid-19. Ils ont notamment affecté la jeunesse et risquent de marquer durablement l’avenir de nos sociétés. Les coûts sociaux et économiques de ces pathologies sont considérables : une espérance de vie réduite de quinze à vingt ans, et, en France, le premier poste de dépenses de l’Assurance-maladie, devant les cancers et les maladies cardio-vasculaires, avec des dépenses directes et indirectes de 160 milliards d’euros par an.

Pourtant, la santé mentale demeure le parent pauvre de notre système de santé. La recherche, qu’elle soit privée ou publique, ne répond pas suffisamment aux besoins. Le financement de la recherche publique en psychiatrie ne représente que 2 % à 4 % du budget de la recherche biomédicale en France, l’un des plus faibles des pays européens, quatre fois moindre, proportionnellement, que celui des Etats-Unis. Quant à la recherche industrielle, elle considère que ce domaine demeure trop risqué et s’y engage peu.

Même constat pour les carrières médicales : près de 30 % des postes de psychiatres sont vacants en France. Et les maladies mentales sont sans doute l’un des derniers tabous sociaux. La parole ne s’est pas encore libérée sur ce sujet. Les personnes vivant avec un trouble psychiatrique sont stigmatisées et n’osent toujours pas évoquer leur handicap.

Un combat à gagner

Il est temps de sortir de cette situation qui condamne des millions de nos concitoyens à subir leur maladie plutôt qu’à la combattre, avec un arsenal thérapeutique très largement insuffisant. La science et la technologie, à travers l’innovation dont elles sont porteuses, offrent aujourd’hui des opportunités sans précédent qu’il faut saisir, sans attendre, pour améliorer la prévention, le traitement et les soins des personnes malades.

En 2003, le premier plan Cancer puis ceux qui ont suivi ont permis de structurer la communauté scientifique française autour d’enjeux partagés. Les progrès ont alors été fulgurants : entre 1990 et 2015, la survie a progressé de 21 points pour les cancers de la prostate, de 9 points pour les cancers du sein ou encore de 11 points pour les cancers du poumon. Au-delà, c’est l’image du cancer qui a radicalement changé. La maladie, qui était taboue, est devenue un combat à gagner.

Cinq leviers d’action

Il est temps de nous mobiliser collectivement, avec la même force, en faveur des maladies mentales. Deux axes nous semblent incontournables : développer la prévention et la veille sanitaire dans ce domaine en évaluant les causes (génétiques et environnementales) de manière plus précise, dès le plus jeune âge ; encourager le développement d’innovations thérapeutiques basées sur les découvertes des mécanismes à l’origine des maladies mentales. Nous identifions cinq leviers d’action pour y parvenir : suivre des cohortes de patients liées à de grandes bases de données partagées qui pourront être exploitées par les outils de l’intelligence artificielle ; développer de nouveaux mécanismes de financement de la recherche public-privé ; travailler ensemble par-delà les frontières et à travers la diversité des approches et des disciplines pour développer les plates-formes et les collaborations qui permettront d’accélérer l’innovation thérapeutique ; briser les stéréotypes et renforcer l’attractivité de nos métiers.

Faire de la santé mentale une priorité de l’Agence de l’innovation en santé, lancée par le gouvernement, serait également essentiel pour faire avancer la cause dans ses dimensions sociétales, politiques et économiques.

L’événement « Maladies mentales et santé mentale : quelles solutions grâce à la recherche et à l’innovation ? », qui doit se tenir jeudi 24 novembre et réunir industriels, professionnels de santé, acteurs de la recherche ou encore mécènes mobilisés autour de cette cause, est une première étape de cette coconstruction d’un écosystème décloisonné. Faisons en sorte qu’il devienne la première pierre d’une mobilisation ambitieuse que nous appelons de nos vœux !

Clarisse Angelier, déléguée générale de l’Association nationale de la recherche et de la technologie ; Alexis Brice, directeur général de l’Institut du cerveau ; Thierry Hulot, président du syndicat Les entreprises du médicament (Leem) ; Marion Leboyer, directrice générale de la Fondation FondaMental ; Franck Mouthon, président de France Biotech.

Tribune publiée dans Le Monde du 24 novembre 2022